Risques psychosociaux : débattre enfin du travail (l'appel de Santé & Travail)

Publié le par Thierry GERBER (intelligence soc. CGTénergie)

Autour de la revue Santé et Travail est lancée un appel et une pétition. Dans le texte de l'appel on ne peut qu'être surpris par l'utilisation à plusieurs reprises du terme plus que controversé de "risques psychosociaux". Ayant assisté à la première rencontre de cette revue, il me semble qu'un des apports avait été de montrer le piège que recèle cette notion : une notion fourre-tout qui attire l'attention sur les effets psychosociaux (souffrances dues au travail, agressions des personnels par des tiers, traumatismes individuels ou collectifs suite à des évènements graves,...) en ne pointant pas les facteurs de risques qui provoquent ces effets. Or, en prévention primaire on agit sur les facteurs de risques le plus en amont possible. C'est pourquoi, parmi d'autres, je défends l'idée d'intervenir en prévention sur les Risques Politico-Organisationnels (RPO). A tel point que j'ai écrit : RPO contre RPS, à savoir Risques Politico-Organisationnels contre Risques Psycho-Sociaux. On doit travailler sur ce qui fait souffrir, sur les facteurs qui sont à l'origine des problèmes pour éviter de... considérer que ce sont les salariés qui posent problèmes. Pour aller à l'essentiel, la formule "risques psychosociaux" pré-suppose que les risques sont générés par les salariés eux-mêmes ! D'où les postures de détection des souffrances, prévention de dernier cercle, au plus près des victimes, lorsque le mal est déjà fait. Je suis consterné par cette avalanche d'utilisation du terme "risques psychosociaux" alors que des voix se sont élevées pour le critiquer. J'ai passé quelques heures à retrouver les multiples critiques formulées. C'est avec intérêt que nous avons lu la rubrique de Michel Chapuis (Souffrance et travail. Quelles ressources juridiques mobiliser ? dans Options n°552 de décembre 2009, UGICT-CGT) où il écrit : "Prévention. La prévention des risques organisationnels (plutôt que des risques dits psychosociaux) suppose [...]". Plus loin, il indique : "ces risques organisationnels doivent être répertoriés par l'employeur dans le document unique d'évaluation des risques professionnels " (page 39). Des collègues veulent figurer les risques psychosociaux dans le document unique alors que d'autre veulent y inclure les risques organisationnels... En matière de prévention des agressions par les tiers, la formulation correcte est risques politico-organisationnels et facteurs sociétaux (individualisme forcené, attitude de clients roi, délinquance violente acquisitive c'est-à-dire vols à main armée, vols avec violence, violences dites urbaines). Le problème de la rédaction de l'appel autour de la revue Santé et Travail c'est qu'il incite à avoir le nez... sur le travail (il est indiqué : "les modes d'organisation du travail, la gestion des ressources humaines) alors que le problème se trouve aussi (et surtout) ailleurs : c'est la logique même du fonctionnement du capitalisme qui génère ces modes d'organisation et cette gestion. Mais là, on omet de mentionner où se trouve l'origine du problème : le capitalisme lui-même. On focalise une nouvelle fois sur l'aval : l'organisation du travail etc. Evidemment, on omet la logique et les intérêts... des actionnaires. Dans de multiples textes, qu'il faudrait prendre le temps de recenser, on met l'accent sur la responsabilité de "logiques" et on dit finalement: ceux qui managent, à quel que niveau que ce soit, sont eux aussi des victimes de ces "logiques" qui les dépasseraient. Ainsi, on colporte l'idée d'un capitalisme (ou des capitalismes)... sans capitalistes ! Disparaissent de la circulation, du circuit des responsabilités, des personnes pourtant bien vivantes, qui ont des intérêts bien compris. Peu importe leurs formes d'organisation (grands ou petits propriétaires d'actions, fonds de pension, etc.). Alors que nous avons affaire à des logiques conscientes, menées consciemment par des personnes bien réelles, on cherche à nous faire croire qu'eux-mêmes seraient finalement des victimes et que leurs directives générales ne seraient suivies que par des managers victimes. Exit les intérêts matériels, les postures idéologiques, la spéculation, le paiement d'avocat pour contourner les effets des lois, etc. ! Tous des victimes ! A moins d'expliquer que ces victimes-là ne sont pas si méchantes par rapport à d'autres prédateurs, beaucoup plus méchants, concurrence mondiale obligeant. Si cet appel part d'une bonne intention, force est de constater qu'appeler à "négocier en priorité sur l'expression des salariés" peut apparaître comme surprenant ! D'où sort cette priorité absolue ? Déterminée par qui et au nom de quoi ? Il faudrait aussi pouvoir "débattre des détails" du travail... dans quoi veut-on nous fourvoyer ? Qui a analysé presque partout (sauf peut-être à la RATP) l'échec cuisant du droit d'expression des salariés, ouvert par les lois Auroux ? Si on veut nous mobiliser autour d'un droit d'expression qui finalement existe déjà c'est faire fausse route. On peut lire aussi dans cet appel : "restaurer dans les entreprises des capacités d'expression et de débat"... Restaurer signifie que celles-ci existaient ? Ou cela ? Bizarre ! "Reconstruire des espaces d'échanges entre salariés, entre salariés et leur hiérarchie"... donc refaire les conseils d'ateliers et de bureaux (lois Auroux), l'utilisation du terme "reconstruire" pouvant faire croire que ces espaces ont déjà existé, qu'ils étaient (socialement) construits et (socialement) pleinement satisfaisants, et qu'ils permettaient de régler les problèmes de souffrances dues au travail... Dans chaque entreprise, nous avons tous l'expérience d'espaces historiquement conçus comme des instruments de collaboration de classe. Ce sont ces espaces que l'on voudrait restaurer dans un mouvement de réenchantement ou de mémoire défaillante ? Réaffirmer l'importance des collectifs de travail comme élément fédérateur, facteur de protection et d'identité professionnelle notamment, oui, mais affirmons aussi que ceux-ci sont porteurs de déni des risques professionnels, de défi de la mort, de tricheries avec des règles élémentaires de sécurité, d'exclusion de ceux qui n'acceptent pas de se plier ou de se mouler aux errements de certains collectifs du travail. La prévention des riques doit agir de ce côté-là aussi. Nous mettons cet absence de dialectique et d'esprit critique sur le compte de l'idée de faire un texte pas trop long. Cet appel invite à une "reprise de ce dialogue" comme "préalable indispensable pour repenser l'organisation et les finalités du travail". Nous laissons à leurs illusions, à leurs croyances, ceux qui pensent qu'il y avait un dialogue qui a été unilatéralement rompu par les employeurs. Si l'on veut nous entraîner sur des stratégies d'accompagnement (dialogue entre formes instituées avec groupes s'auto-reproduisant et se protégeant mutuellement, participation aux bénéfices, pourtant résultant de l'exploitation capitaliste gestion concertée des risques, réformes ne touchant pas aux fondamentaux, compromis et compromissions Capital-Travail, etc.) qu'on le dise clairement... Qu'il y ait des limites aux droits d'alerte... c'est évident, mais évitons des formules qui laisseraient croire que les risques organisationnels ne seraient pas porteurs de risques graves, le droit d'alerte se limitant... aux risques graves, d'après cet appel. Limiter les propositions relatives au problème de la sous-traitance à "l'obligation de consultation mutuelle des IRP de l'entreprise donneuse d'ordre et de l'entreprise prestataire" signifie que le problème existe (dont acte) mais que l'urgence n'a pas permis de brasser plus large, alors que c'est grandement nécessaire. Soulignons, pour finir, la faiblesse des propositions alors que de nombreuses pouraient être formulées et mises en débat dans le monde du travail et les milieux syndicaux. Nous nous interrogeons aussi sur la portée de ce type d'intervention, "au dernier moment", alors que des accords se négocient dans des branches, des entreprises, et au plan interprofessionnel sur la prévention de risques ayant des effets psychosociaux. Nous sommes dubitatifs sur le sens de cette initiative. Les signataires seront nombreux, nous pouvons l'espérer, souhaitant faire avancer la prévention des risques professionnels, la santé et la sécurité au travail. Pour notre part, nous nous abstiendrons d'appeler à débattre du travail sans mettre en cause nommémentles risques politico-organisationnels, la logique des capitalismes et ceux qui bénéficient des profits.
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